Le boom des effervescents mondiaux

Why bubbles are the new trend ?

Samedi dernier, c’était « tasting time » avec les collègues de la rédaction. Au programme, petite dégust’ des plus belles bulles du monde : Afrique du Sud, France, Inde, Italie et Californie.


PFFF! SHEBAM! POW! BLOP! WIZZ! ♪ ♪♪ ♪

Non, ce soir-là, Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot n’étaient pas conviés. Cet air entêtant, c’est celui de l’effervescence. Un chant universel que le monde entier adore écouter. Pour preuve, rien qu’en 2019, il s’est vendu pas moins de 3,3 milliards de vins effervescents¹ sur la planète. Un chiffre vertigineux qui a quasiment doublé en l’espace de 15 ans seulement. Pour quelles raisons l’effervescence a-t-elle autant le vent en poupe ? Enquête.


#1 – Des raisons politiques

L’effondrement du communisme en Allemagne de l’Est et l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001 ont grandement contribué à l’expansion de la bulle dans le monde. Et oui ! En découvrant les joies de la consommation capitaliste, des milliers d’individus ont également voulu goûter au plaisir de la bulle.

Une demande exponentielle que les deux grands pays producteurs² de l’époque n’ont pu satisfaire en totalité. Conséquences ? D’une part, le Prosecco y a vu une excellente opportunité pour faire son entrée sur scène et, d’autre part, les nouveaux pays consommateurs se sont mis à produire leurs propres bulles pour étancher leur soif.


#2 – Des raisons sociétales

Si, au fil du temps, notre rapport au vin a changé, l’héritage de Noé est néanmoins resté un marqueur social prépondérant dans nos sociétés. Alors qu’en France, nos aînés étaient davantage portés sur les alcools forts ou le gros rouge, la nouvelle génération de consommateurs, incarnée par les Millennials, semble avoir trouvé, à travers la bulle, une voie de salut pour se différencier.

Versatiles, curieux et exigeants, ces néo-consommateurs, qui représentent aujourd’hui 50 % de la population mondiale active, se tournent de plus en plus vers des effervescents à la bulle décomplexée et au fruité léger.

Des bulles qui parlent le langage de leur cible et maîtrisent leurs codes : ceux du casual chic et de la cool attitude. Passé maître dans l’art de la communication 2.0, le Prosecco a par exemple su s’imposer sur Instagram comme un produit lifestyle, que l’on débouche spontanément pour fêter un nouveau crush, un séjour à la montagne, un Spritz à la main.


#3 – Des raisons économiques

Au cours du XXᵉ siècle, plusieurs crises sont venues frapper l’économie mondiale. Ces dernières ont fait bondir le chômage et baisser le pouvoir d’achat. Contraints d’opérer des arbitrages, certains consommateurs de vin se sont alors tournés vers des bulles moins onéreuses.

Exit Champagne. Welcome to Spumante, Prosecco, Cava, Sekt, Crémant et autres effervescents en cuves closes et méthodes traditionnelles, dont les prix sont beaucoup plus attractifs³, notamment grâce à un cahier des charges moins contraignant. Moins bons que le vin des Rois, me direz-vous ? Pas si sûr ! Preuve en est : le lauréat du « Concours international des meilleurs effervescents du monde 2020 » est un Crémant de Savoie⁴.


#4 – Des raisons sensorielles

Selon Gérard Liger-Belair, docteur en physique et enseignant-chercheur à l’URCA, si la bulle a autant le vent en poupe, c’est parce que l’effervescence est un phénomène neurophysiologique étonnant qui provoque un plaisir… à la limite de la douleur⁵ !

C’est bien connu : ces deux sensations viennent activer les mêmes circuits neuronaux. Et avec 1 045 014 bulles par verre de Champagne, on comprend pourquoi c’est addictif.


#5 – Des raisons métaphysiques

Au-delà de l’éternelle association « bulle = célébration », inscrite dans l’inconscient collectif depuis le XVIIᵉ siècle, la bulle fait écho aux plaisirs de l’enfance. L’effervescence des vins serait en effet une madeleine de Proust, nous rappelant le crépitement joyeux des sodas ou de certaines glaces.

Sur un plan plus symbolique, la bulle incarne l’élan vital. Ces milliers de sphères éphémères évoquent la Terre, le cycle de la vie, le ventre de la mère, ce paradis perdu que l’on aspire tous inconsciemment à retrouver.
Heaven, I’m in heaven… ♪


— Katia DEMISSY


Notes

  1. Toutes méthodes confondues (méthode traditionnelle, ancestrale, russe, cuve close, regazéification)
  2. La France et l’Espagne
  3. Selon une étude menée par FranceAgriMer et Symphony IRI, le prix moyen par col en GMS en 2018 s’élevait à 21,28 € pour une bouteille de Champagne contre 2,76 € pour les cuves closes et méthodes traditionnelles, soit quasiment 8 fois moins cher
  4. Cave de Cruet – Brut
  5. Le carbone dissous contenu dans le vin provoque en effet d’infimes piqûres chimiques qui viennent stimuler le nerf trijumeau, l’un des sièges de la douleur

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