Comment le phylloxera est en train de mettre le vignoble français à ses pieds
Mieux vaut deux fois qu’une
L’alerte avait pourtant été donnée par deux fois. En 1863 à Londres, puis en 1867 par un vétérinaire d’Arles qui fit très vite part de ses inquiétudes au président du Comité Agricole d’Aix :
« Les baies mordorées qui faisaient encore hier l’éclat de notre pays sont en train de devenir une source de désolation. »
Les prophètes du malheur
Pour comprendre l’origine du mal, Marès, surnommé « le Sauveur », est envoyé en expédition en 1868 afin d’établir une symptomatologie précise, tandis que le trio Bazille, Planchon et Sahut part investiguer les vignobles dévastés.
L’examen à la loupe d’une racine arrachée permet d’établir un portrait-robot précis de l’assaillant : un puceron jaunâtre, présent à divers états de développement, suce la sève du cep, lui occasionnant ainsi une mort inévitable. Son nom : Phylloxéra vastatrix.
Particularité : sa prodigieuse fécondité. En moins d’un an, le parasite est capable de donner vie à plusieurs milliards de légionnaires, capables de survivre aux conditions les plus extrêmes. La découverte est d’une gravité exceptionnelle. Le phylloxéra est un mal égalitaire qui frappera toutes les régions viticoles françaises, sans exception.
La France dans le déni
La nouvelle se propage et, malgré la preuve par la démonstration, le défaut d’anticipation est flagrant. Dans un contexte politique et social délétère, la France viticole, fracturée, peine à trouver un angle d’attaque.
Léopold Laliman et ses vignes américaines immunisées sont ignorés, le pays se trompe d’ennemi et préfère prier ! Une aubaine pour les cléricaux, qui n’étaient plus vraiment en odeur de sainteté.
Sur fond de divergences idéologiques, les premières actions anti-phylloxériques émergent dès 1870. Les esprits s’emballent et plus de 5 000 remèdes différents, aussi farfelus qu’inefficaces, sont proposés. Dans sa lutte empirique, l’Homme manque de bon sens, peine à mutualiser ses connaissances et oublie ses fondamentaux. Et pendant que l’on débat, la production nationale, comme le vignoble, s’effondrent…
Union sacrée
En 1871, on se résigne enfin à soigner le mal par le mal. Les premiers essais sont menés avec des plants américains directement plantés. Mais les résultats sont médiocres : les vins présentent un goût « renardé ».
Une solution efficace est finalement trouvée en 1878 avec l’union de Vitis vinifera (greffon français) et Vitis riparia (porte-greffe américain). Cette technique de greffage rend ce tueur sournois « inoffensif » et permet aux vins de conserver les spécificités organoleptiques des cépages autochtones.
Quand l’infiniment petit pose de grandes questions
En quelques années à peine, l’infiniment petit aura réussi à bouleverser l’ordre établi et à faire fléchir la viticulture française traditionnelle. Mais dans son sillage destructeur, le tyran des vignes est aussi une leçon d’humilité et d’humanité pour qui sait écouter.
La Champagne n’échappera pas à ce mal inédit…
Puisse-t-on enfin œuvrer collectivement pour sauver l’héritage de Noé !
— Katia DEMISSY


