La délimitation officielle de la Champagne viticole, sa reconnaissance en tant qu’AOC et le coût élevé de sa matière première ont très vite contraint la Belle Effervescente à s’inscrire dans une course à l’excellence afin d’amortir ses coûts et de gagner en valeur sur des volumes qu’elle ne peut accroître. Mais comment fait-elle pour valoriser un vin produit à plusieurs millions de bouteilles par an ? Qu’est-ce que la valorisation ? Et quelles sont ses perspectives d’avenir ? Enquête.
L’attitude des hommes est la source de la valeur¹
Pour Jérôme Gallo, directeur de la Burgundy School of Wine & Spirits Business, valoriser signifie
« réussir à vendre ses vins à un prix de marché déconnecté d’une quelconque valeur organoleptique ».
Pour ce faire, les Champenois doivent donc augmenter la valeur perçue dans l’esprit du consommateur afin que celui-ci accepte de payer un même produit plus cher. Un exercice plutôt périlleux quand on sait que le prix et la rareté sont des critères d’achat décisifs.
Impossible n’est pas Champagne
Fort heureusement, le vin des Rois est un bien culturel, expérientiel et non reproductible qui, grâce à son histoire et à ses nombreux attributs, jouit d’une symbolique très forte dans l’imaginaire des Hommes. Capitaliser sur la valeur immatérielle de l’AOC pour entretenir la désirabilité dans l’esprit des amateurs : le Comité Champagne en a fait son fer de lance.
Le Big Five
À travers cinq axes, déployés autour du storytelling, de l’œnotourisme, de la distribution, de la RSE et du digital, l’interprofession cherche depuis février 2020 à (ré)affirmer les valeurs de l’AOC, à revoir son positionnement et à la moderniser.
Une stratégie de long terme qui, pour porter ses fruits, doit être menée tant sur le plan collectif qu’individuel. Mais si les vignerons identitaires et les Maisons — qui ont le monopole² de la valeur créée — l’ont déjà bien compris, d’autres acteurs peinent encore à prendre pleinement conscience du défi à relever, et certains leviers restent massivement à déployer.
Notamment en matière d’œnotourisme et de distribution. Dans leur capacité à faire rêver, les vignerons devront davantage investir dans la proximité affective afin de transformer la relation œnotouristique « client/vendeur » en un pacte « humain/humain ».
En parallèle, avec la chute du on-trade³, les circuits vont devoir être repensés et premiumisés. En luttant contre les déstockages massifs en grande distribution et en consolidant des partenariats plus équitables avec les constructeurs d’image, la République des Bulles pourra atteindre l’un de ses objectifs majeurs : effacer peu à peu de notre inconscient collectif la possibilité d’acheter un Champagne à moins de 20 €.
Le charme du prestige
Avec une progression des ventes de 7,1 % en 2019⁴, la stratégie de croissance en valeur fonctionne particulièrement bien à l’export. Portée par cinq pays⁵, la valorisation s’opère notamment grâce aux cuvées de prestige et aux vins faiblement dosés.
Néanmoins, pour éviter toute dépendance à certains marchés, la Champagne devra rapidement mettre en place une stratégie de conquête auprès des nouveaux relais⁶ de croissance, en développant notamment une offre plus cohérente et moins complexe.
Parce qu’elle le vaut bien ?
Si la valorisation passe par le fait de « vendre plus cher », il ne faut cependant pas oublier qu’elle passe également par le fait de « produire moins cher ». Et quitte à heurter certaines idéologies de mutation, d’autres pistes de réflexion doivent être envisagées.
Devra-t-on faire évoluer le cahier des charges de l’AOC ? Mécaniser l’ensemble des travaux de la vigne pour amortir les coûts fixes ? Développer une nouvelle technologie qui, à qualité égale, permettrait de réduire le temps de vieillissement ?
Et surtout, comment capter les Millennials que la valorisation a fait fuir ? Faudra-t-il démocratiser le Champagne, à l’image du caviar, en réduisant la taille des contenants pour valoriser le prix au litre ? Ou devrons-nous un jour fêter Noël… au Prosecco ?
— Katia DEMISSY
Notes
- J’accuse l’économie triomphante, Albert Jacquard
- 77,7 % des expéditions en valeur ont été réalisées en 2019 par les Maisons (négoce), notamment grâce aux ventes de BSA en volume
- CHR, bars, discothèques, etc. Tous les lieux où le Champagne acheté est consommé sur place
- Contre +0,8 % en volume selon le bulletin des expéditions 2019 publié par le Comité Champagne
- États-Unis, Royaume-Uni, Japon, Allemagne et Italie
- À l’instar de la Chine, de l’Afrique et de l’Europe du Nord
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