Viticulture et changements climatiques

Le paysage viticole mondial est-il en danger ?

Depuis 4,5 milliards d’années, Hélios et Gaïa s’aiment d’un amour symbiotique. De leur union est né l’effet de serre, un phénomène naturel qui offre à notre planète une température cosy de 15 degrés, propice à l’émergence de la Vie. L’histoire paraît idyllique… jusqu’à ce qu’Homo Economicus s’en mêle.

En l’espace de 2 siècles seulement, les activités humaines¹ sont en effet venues menacer ce fragile équilibre. La concentration actuelle de CO₂ avoisine désormais les 407 ppm² et provoque un dérèglement climatique sans précédent. D’ici 2100, la température moyenne pourrait même augmenter de 7 degrés. Premier impacté : le patrimoine viticole. Entre menaces et opportunités, comment la filière va-t-elle devoir s’adapter ? Cette semaine, La Vigne donne la parole à un passionné de climatologie, Nicolas Vallée, Responsable communication chez Champagne Beaumont des Crayères.


Quelles incidences les changements climatiques ont-ils sur le vin et le vignoble ?

NV :
« Le réchauffement climatique, c’est comme le Temps. Même si tout le monde sait ce que c’est, on a du mal à l’appréhender ! Heureusement, la vigne est un bio-indicateur emblématique. L’augmentation de la température, des conditions extrêmes³ et de la pluviométrie ont clairement une incidence sur le cycle végétatif de la plante et la composition du raisin. En France, depuis 1989, les stades phénologiques, comme les vendanges, se font plus précoces, le stress hydrique plus palpable et les rendements moindres. Moins acides et plus sucrées, les baies commencent à offrir des vins plus chargés en alcool qui exhalent des arômes plus secs et plus amers.

À terme, les cépages tardifs, capables de résister aux fortes chaleurs et de produire des raisins moins riches en sucre, seront légion. Mais toucher à la matière première, c’est toucher à l’identité même de notre AOC. Je crains que l’image de la Champagne ne s’en trouve profondément modifiée et, avec elle, toute son économie. »


D’ici 2100, quel pourrait être le nouveau visage de la viticulture mondiale ?

NV :
« À mon sens, l’augmentation de l’évapotranspiration et de la température va peu à peu élargir les zones désertiques et redessiner la carte viticole mondiale. Certaines régions productrices à l’instar de l’Espagne⁴ ou de l’Australie seront vouées à disparaître, d’autres comme l’Allemagne ou la Nouvelle-Zélande ne seront que très peu impactées et de nouvelles régions, comme la Suède, l’Angleterre ou la Bretagne, pourraient fortement se développer. »


Se dirige-t-on vers une guerre de l’eau ?

NV :
« La question de l’eau pose une double interrogation. Aux pôles, le climat se réchauffe deux à trois fois plus vite qu’ailleurs sur la planète. La fonte du pergélisol entraîne une montée du niveau de la mer⁵. Associée à une multiplication des phénomènes météorologiques violents, certains vignobles et certaines régions finiront par être submergés. Je pense à la Camargue et à la cordillère des Andes. L’Homme ne pourra pas bâtir des barrages partout…

En parallèle, se pose également la question de l’eau potable⁶. Il s’agit là d’un enjeu majeur par sa disponibilité, sa qualité, sa quantité limitée et son prix multiplié par 20 en 15 ans. Cela va inévitablement engendrer de vrais arbitrages entre l’agriculture et la viticulture. Les nappes phréatiques commencent aussi à se gorger d’eau salée, ce qui est néfaste pour les vignes. Si l’irrigation n’est plus permise, qu’adviendra-t-il de certains vignobles du Nouveau Monde et des populations qui ne (sur)vivaient que grâce à cette économie viticole ? En Amérique du Sud, le chaos économique pourrait conduire à une montée en puissance de la misère et des affrontements. »


En Champagne, comment vos adhérents sont-ils en train de s’adapter ?

NV :
« Si l’on souhaite transformer la menace en opportunité, le réchauffement climatique doit devenir un challenge quotidien. Pour favoriser la résilience des vignes et retarder la maturation, certains ont commencé à modifier leurs pratiques viticoles, à adapter leur matériel végétal et à s’inspirer de leurs voisins convertis en bio. Dans une plus large mesure, je crois qu’il est urgentissime de réduire massivement nos émissions de CO₂, d’éco-concevoir nos bâtiments, d’imaginer des campagnes chocs type “Bordeaux 2050”, d’investir dans la R&D⁷ et de réviser la législation autour des AOC. Développons notre imagination, notre agilité et notre intelligence collective, car je ne suis pas sûr que le rover “Persévérance” nous montrera qu’il y a des vignes sur Mars… »


— Katia DEMISSY


Notes

  1. Comme la déforestation massive et une activité industrielle intense
  2. Parties par million
  3. Également appelée « variabilité climatique »
  4. Des pays proches du niveau de la mer
  5. À raison de 2 000 mètres par an
  6. 8 % des réserves d’eau mondiale
  7. Recherche et Développement

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